Vous ne savez jamais qui est de l’autre côté (2024)

Blog «Les 400 culs»

Mis au service de la distanciation sociale, les “glory holes” font officiellement partie des moyens d’éviter l’infection. «Quelle terrible ironie», proteste l’artiste français Marc Martin qui consacre à ces trous honteux, honnis, un ouvrage en forme d’hommage.

Les glory holessont les trous noirs de la mémoire queer. Pour beaucoup de militants, il paraît offensant d'en parler, car ces trous sont liés aux lieux d'aisance collectifs,les pissotières (appelées tasses, en argot) qui les virent apparaître, dès leXIXe siècle. Dans un essai intitulé Glory Hole -Le trou noir des tasses (éditions Agua),le photographe et collectionneur Marc Martin reproduit un des tous premiers documents lié à ces bizarreries. Il s'agit d'un rapport de police, daté de février 1862. Le chef du commissariat du quartier desChamps-Élysées évoque des «ouvertures faites dans les cloisons des latrines».L'une de ces ouvertures a été signalée comme un trouble à l'ordre public. Ellemet en danger la pudeur. «J'ai immédiatement envoyé mon garçon de bureau etun de mes inspecteurs pour en opérer le bouchement, qui a été fait avec duplâtre et du ciment et ne manquera pas de solidité».

Personne ne«pipait mot» dans les tasses

Bien qu'iln'en détaille pas l'usage, le commissaire semble parfaitement conscient ducaractère coupable de ces pertuis, percés à hauteur d'entre-jambe. Ainsi queMarc Martin l'explique, ils servent à la fois d'oeilletonet de passe-plat : ils permettent «d'observer une personne située de l'autrecôté ou d'y insérer son pénis dans le but d'un échange sexuel. […] À l'époqueoù l'hom*osexualité était illégale, les toilettes publiques, qui servaient delieux de rencontres, en étaient largement pourvues». En perçant ces brèches dans les parois de séparation, lesinventeurs des glory holes aménageaient des voies d'accès vers l'autrequi peuvent paraître réductrices : elles ne laissaient passer qu'un boutd'anatomie. Mais pour beaucoup d'hommes, ces petit* trous étaient salvateurs.Pour ceux qui avaient peur, à l'époque répressive, d'être pris en flagrantdélit (à deux dans la même cabine), les glory holes permettaient dejouir, envers et contre la société. Pour ceux qui se cherchaient, timidement, les glory holes offraientla liberté.

Les trousentrent en résistance

Signe de leurimportance : quand les autorités faisaient boucher ces trous, les «pervers»en perçaient de nouveau. Dans son ouvrage, Marc Martin cite d'ailleurs le casd'une véritable guerre des trous. En 1887, Félix Carlier (ancien chef duservice des moeurs à la Préfecture de police) mentionne le cas des pissotièresdes Halles, devenues lieu de rendez-vous. «Chaque jour, les maçons de la ville bouchaient ces trous ; chaque soir,ces trous étaient percés à nouveau. L'administration prit un parti qu'elle cruthéroïque ; elle remplaça les cloisons par des plaques de blindage en fonte. […]Quinze jours plus tard, les plaques de métal avaient été taraudées, les trousexistaient à nouveau.» La fermeture de ces WCfut seule capable de mettre fin au «scandale». Mais les fauteurs de trouble nes'estimèrent pas perdants. Ils allèrent trouer ailleurs. Paris était grand.

Letrou abrite tous les mystères

Dansles années 1980, quand les pissotières furent abolies en France, remplacées pardes «sanisettes», les trous leur survécurent. Ils migrèrent dans les backrooms,à l'abri de la pénombre, comme s'il fallait que perdure avec eux un certaingoût pour l'incertitude. Steel Panther, un groupe de heavy metal, en a fait le refrain d'une chanson : «Honey, je ne veux pas savoir qui suce de l'autre côté» (Glory Hole, 2014). Ce pourraitêtre un homme beau ou laid, une blonde ou brune, peut-être même un flic ou un prêtre ? Le trouabrite tous les mystères. Il est le garant du secret. Il favorise les expériences, il encouragel'ambiguïté, il inspire des scénarios qui, autrement, n'auraient pas lieu. Cequi le rend d'autant plus précieux à l'époque de la transparence. «Contrairementà la croyance populaire», insiste Marc Martin, il n'y a pas que les gaysqui profitent de ces trous. Au contraire. Les hommes qui refusent de se définir, ceux qui veulent du plaisir sans avoir à soi-disant «assumer» (assumer quoi d'ailleurs), ceux qui manquent de confiance pour aller dans des clubs de cul, ceux qui veulent jouir dans l'inconnu, trouvent dans le gloryhole une porte ouverte aux possibles.

Unezone “Glory Hole” dans un centre d’art vivant ?

A l'inverse desautorités –qui font des glory holes les outils de la mise à distance–,Marc Martin entend les réhabiliter comme les moteurs du rapprochement. Sans cestrous, les exclus de la société n'auraient pas pu briser l'isolement. «Ilsont permis aux générations d'hommes, qui n'avaient pas de drapeau à dresser,d'ériger haut et fort leur érection en signe d'épanouissem*nt personnel.»Non content de leur dédier un livre, Marc Martin leur consacre d'ailleurs unespace, placé au coeur de sa prochaine exposition –«Les tasses à Bruxelles»–,qui se déroulera au Centre d'art de Bruxelles-LaVallée, du 18 septembre au 3 octobre, dans le cadre du Pride Festival organisé par la RainbowHouse. Cet espace –que Marc nomme avec humour la «zone glory hole»–,prendra la forme d'une machine à remonter le temps : dans ce cube constitué decabines séparées par des portes et des cloisons trouées, les visiteurs et visiteuses pourront se replonger dans l'ambiance clandestine des anciens lieux de rencontre, lorsque c'étaient les juges (et non pas le virus) qui prohibaient les contacts entre humains.

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A LIRE : Glory Hole - Le trou noir des tasses, de Marc Martin, essai illustré de photos originales et de documents d'archives, septembre 2020. C'est le deuxième volume d'une série de fascicules thématiques autour des pissotières, publiés aux éditions AGUA.

A LIRE : Marc Martin, Les tasses, dirigé par Marc Martin, éditions AGUA, 2019.

A VOIR : « Les tasses à Bruxelles », exposition de Marc Martin à LaVallée, centre d'art vivant à Bruxelles. Entrée gratuite. Adresse : 39, rue Adolphe Lavallée 1080Bruxelles-Molenbeek.

Initialement prévue en mai 2020, puis mi-août, l'expo a finalement été reportée du 18 septembre au 3 octobre 2020. Le vernissage aura lieu le 18 septembre à partir de 18h dans le cadre du Pride Festival.

Uneconférence avec Sébastien Landrieux et Marian Lens se tiendra le 20 septembre àLaVallée : Espaces publics, affairesprivées.

POUR EN SAVOIR PLUS : «Faire l'amour par un trou ?»

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